explo-RATION

mercredi 22 mai 2013

Theda Bara vers 1918. Le mot vamp fut inventé pour elle et les films "à vampires", le trend gothique, les mangas lui doivent beaucoup. Nue ou (à peine) voilée, aussi populaire dans les années 1920 que Charlie Chaplin, elle a presque tout joué : Carmen, Salomé, Juliette, Esméralda, Cléopâtre...
Je n'ai pas attendu la énième adaptation (decevante) de Gatsby le Magnifique au cinéma pour replonger dans les Roaring Twenties.  La carte postale décorée d'une image de star ou starlette du cinéma muet, c'est la time capsule par excellence. Ces petits rectangles cartonnés m'ont toujours fait voyager sur une vague douce-amère. Lumière et poussière...

En les regardant, j'ai toujours été frappée à quel point certaines beautés "dataient" terriblement alors que d'autres étaient d'une saisissante contemporanéité. Pourtant toutes dataient justement de la même époque : les années 1910, les années 1920. L'époque voulait ça, sans doute : convulsive, inventive, febrile et confuse, meurtrière et festive... L'Art Déco balayait l'Art Nouveau, le jazz renvoyait l'opérette aux oubliettes, la Révolution d'Octobre voulait des lendemains sans capitalisme et la Ford T des rues sans hippomobiles.

Guerres, génocides, naufrages de paquebots (le Titanic) et d'empires (le Russe, l'Austro-Hongrois, l'Allemand) faisaient sombrer des mondes pendant que naissaient des industries, des cultures, des idées : la théorie de la relativité, l'acier inoxidable, le frigo, le néon, Hollywood...

Difficile, quand on était starlette muette, de se positionner entre "tradition" et "modernité". A moins d'avoir une forte personnalité, un dandisme inné et une allure éternellement féminine, aussi classieuse en crinoline qu'en bermudas. C'est bien entendu le cas de Lilian Gish, Louise Brooks, Norma Shearer, et d'autres moins connues, mais qui compensent par une extravagance qui explique et banalise définitivement Lady Gaga.

Ces stars pionnières restent une énigme : nées souvent dans l'Ohio dans des familles ouvirères, elles incarnent des reines, des princesses, des courtisanes comme si elles avaient deux mille ans de grâce aristocratique derrière elles. Elles incarnent aussi une époque de liberté dans l'expression de la beaute : avant les diktats du star-system, les manips Photoshop et les looks téléguidés par les marques de crèmes et de déguisements sexy à deux balles.

Leur allure et leurs regards hantent encore les photographes en quête de glamour, les défilés haute couture et les allées des studios d'Hollywood, cette "Mecque" du cinéma qui, sans elles, n'aurait même pas duré dix ans, par manque de pélerins. En voici quelques'unes, choisies lors de mes dernières fouilles et rêveries.
Lilian Gish, pionnière entre les pionnières, par son jeu, son allure et son indépendance. Francis Scott Fitzgerald et François Truffaut en étaient des fans absolus. Dans ma liste "les plus beaux yeux du cinéma" elle se classe très, très haut.
Norma Talmadge, tragédienne mais aussi productrice de cinéma et chroniqueuse de mode :  la première fashionista des reines du muet dictait les modes pour en changer le lendemain avec une sublime versatilité.
Deux facettes d'une même époque : Le chic masculinisant de l"Américaine d'à côté" et le glamour arabisant de la femme fatale exotique (Norma Shearer à gauche, Theda Bara à droite).
Les deux mêmes dans les poses sculpturales dictées par la vague "beauté antique" concoctée par le Hollywood des Roaring Twenties (Norma Shearer à gauche, Theda Bara à droite).
On dirait Dominique Sanda dans les Sixties, mais c'est Dolores Costello dans les Twenties, surnommée "La Déesse du cinéma muet".
Deux concepts du sex-symbol dans les Twenties : Olive Ann Alcorn (à gauche), actrice et danseuse, mais surtout pin-up originelle : elle fut pratiquement la première à faire une véritable carrière avec ses photos de nu intégral. Clara Bow (à droite) : la notion de "It Girl" fut inventée pour elle. Encore aujourd'hui, elle est considérée comme l'incarnation des Roaring Twenties.
Deux destins de chorus-girls des Ziegfield Follies : à gauche Alice Wilkie, disparue sans laisser d'adresse; à droite Billie Dove, qui quitta les Follies pour jouer avec Douglas Fairbanks, se fiancer (pendant trois ans !) avec Howard Hughes et gagner le surnom de "The American Beauty".
Un certain regard sur la staritude : Myrna Loy. Vamp à l'écran et par ailleurs inlassable activiste pour la Croix Rouge, plus tard contre le nazisme (elle figura sur la blacklist personnelle d'Hitler), pour les droits des acteurs noirs et première star holywoodienne à devenir membre du Comité national pour l'UNESCO.
Gloria Swanson, dont l'allure impériale et un don inné pour porter la haute couture de l'époque faisaient oublier ses 1,52 m. Première fashion icon digne de ce nom, elle fut aussi une grande militante pour l'indépendance des acteurs face aux studios : en 1927 elle refusa un contrat d'un million de dollars proposé par Paramount pour rejoindre les fraîchement créés United Artists Studios.
Sophistication kitchissime et fraicheur rarissime : des hypostases d'une même icône, Louise Brooks.
On croirait qu'un siècle sépare le look des beautés estampillées Roaring Twenties de celui de cette "Editha" inconnue - et pourtant célébrissime. Ce cyanotype, réalisé en 1903 par le photographe pionnier William Henry Jackson, se vend encore comme des petits pains, en carte postale, sticker, magnet frigo...
Et nous, nous ressemblons à qui ? Un siècle plus tard, que nous disent ces miroirs ?
Capsules choisies